Photo: Raqqa avant
VIENNE I, 30 OCTOBRE 2015
Le « Communiqué conjoint agréé par les ministres de la réunion internationale de Vienne sur la Syrie » du 30 octobre 2015, est publié sur le site France Diplomatie (en anglais) [1]. Cependant, sous ce « même titre » vous trouverez (en français) les propos de M. Fabius à la presse ; un résumé d’où il ressort un point attendu et un autre plutôt surprenant de la part de quelqu’un qui était si satisfait du « bon boulot » de Jabhat al-Nosra [le Front al-Nosra] [2] :
« Nous avons discuté pendant huit heures. Il y a évidemment des points de désaccord : le principal est le rôle futur de Bachar al-Assad. Pour nous les choses sont claires, il est le principal responsable du désastre syrien et, donc, il n’est pas question qu’il soit le futur de la Syrie… nous avons beaucoup insisté à la fois sur la nécessité, pour arriver à la paix, que Bachar al-Assad ne fasse pas partie de l’avenir de la Syrie, et nous avons beaucoup insisté sur la lutte contre le terrorisme – contre Daech, contre Jabhat al-Nosra -, une lutte qui doit être amplifiée… » [3].
Voici la traduction du communiqué en question :
Le 30 Octobre 2015, les « participants » représentant la Chine, l’Egypte, l’UE, la France, l’Allemagne, l’Iran, l’Irak, l’Italie, la Jordanie, le Liban, Oman, le Qatar, la Russie, l’Arabie Saoudite, la Turquie, les Émirats Arabes Unis, le Royaume-Uni, l’Organisation des Nations Unies et les États-Unis, se sont réunis à Vienne pour discuter de la grave situation en Syrie et comment mettre un terme à la violence le plus tôt possible.
Les participants ont eu une discussion franche et constructive, couvrant les problèmes majeurs. Bien que des différences importantes subsistent entre les participants, ils sont arrivés à une compréhension mutuelle sur les points suivants :
- L’unité de la Syrie, l’indépendance, l’intégrité territoriale et le caractère laïc de la Syrie sont fondamentaux.
- Les institutions de l’État resteront intactes.
- Les droits de tous les Syriens, indépendamment de l’origine ethnique ou de la confession religieuse, doivent être protégés.
- Il est impératif d’accélérer tous les efforts diplomatiques pour mettre fin à la guerre.
- L’accès humanitaire sera assuré sur tout le territoire de la Syrie, et les participants accroîtront le soutien aux personnes déplacées, aux réfugiés, et à leurs pays d’accueil.
- Da’esh, et d’autres groupes terroristes, tels que désignés par le Conseil de sécurité des Nations Unies, et de plus, tel que convenu par les participants, doivent être vaincus.
- Conformément au Communiqué de Genève de 2012 et à la Résolution 2118 du Conseil de sécurité des Nations Unies, les participants ont invité l’ONU à réunir des représentants du Gouvernement syrien et de l’opposition syrienne pour un processus politique menant à des élections crédibles, inclusives, en vue d’une gouvernance non-sectaire, suivi d’une nouvelle Constitution et d’élections. Ces élections doivent être menées sous la supervision de l’ONU à la satisfaction de la gouvernance et des plus hauts standards internationaux de transparence et de comptabilisation des résultats, libres et équitables, avec participation de tous les Syriens, y compris la diaspora.
- Ce processus politique sera sous direction syrienne et appartient aux Syriens, le peuple syrien devra décider de l’avenir de la Syrie.
- Parallèlement à ce processus politique, les participants de concert avec les Nations Unies exploreront les modalités et la mise en œuvre d’un cessez-le-feu sur tout le territoire à partir d’une date précise. Dans les prochains jours, les participants travailleront à réduire les domaines de désaccord qui subsistent, et à construire sur des terrains d’entente. Les Ministres se réuniront de nouveau dans deux semaines pour poursuivre ces discussions.
D’emblée et sans entrer dans les détails de ce qui a précédé la tenue de cette réunion dite de « Vienne 1 », voici un court extrait d’une intervention télévisée de M. Ghaleb Kandil [4], Directeur du site New Orient News, qui résume, à son avis, le but essentiel de cette initiative de la diplomatie russe :
« Si nous devions tenir compte des principes de la morale et de la diplomatie, les États qui se sont fourvoyés dans le soutien du terrorisme, et qui continuent de le faire, méritent d’être jugés par un tribunal international similaire à celui qui a jugé le nazisme. Mais il se trouve qu’aujourd’hui ces États participent à un processus politique, voulu par M. Poutine, pour les dégager de cette voie. C’est pourquoi, il ne faut pas nous attendre à des solutions définitives à chaque étape de ce processus qui risque de se prolonger et qui évoluera en fonction de l’équilibre des forces sur le terrain. Tel est le plan russe dans un combat qui décidera de l’avenir du monde ».
Ce premier communiqué de Vienne a été jugé globalement positif par les Syriens, bien qu’il ne se fonde que sur le Communiqué de Genève de 2012 en faveur d’un gouvernement transitoire [5] et sur la Résolution 2118 de 2013 [6], sans rappeler les résolutions contraignantes du Conseil de sécurité 2170, 2178 de 2014 et la résolution 2199 de 2015, condamnant les organisations terroristes et ceux qui les soutiennent ou les encouragent de n’importe quelle façon que ce soit, y compris en se contentant d’acheter les produits de leurs larcins.
Une résolution 2118, dont le Général libanais, Amin Hoteit, avait clairement perçu les pièges, puisqu’au lendemain de son adoption il écrivait :
« La résolution 2118 « insistant sur le fait que la seule solution à la crise syrienne est un processus politique sans exclusive, dirigé par les Syriens, fondé sur le Communiqué de Genève du 30 juin 2012… », lequel a convenu des lignes directrices et des principes pour une transition politique par, entre autres, la mise en place d’un organe de gouvernement transitoire qui pourra comprendre des membres de l’actuel gouvernement et de l’opposition « ainsi que d’autres groupes »… ; il faudra être particulièrement prudent sur deux points. Le premier est de faire en sorte que le bloc occidental ne puisse pas choisir les membres de cet organe à sa convenance, mais qu’il soit effectivement composé de véritables représentants du peuple syrien. Le deuxième, est de veiller à ce qu’il ne présente pas cet organe comme le remplaçant de l’autorité légitime actuellement au pouvoir en Syrie. Ceci, parce que certains États pourraient persister dans leurs tentatives visant à faire admettre, dans ses rangs, des représentants de l’un quelconque des groupes prétendument révolutionnaires syriens… sous prétexte qu’ils sont « militairement victorieux » dans certaines zones, dites libérées, du territoire syrien…[7].
En dépit de ces risques qui demeurent, le fait que Vienne 1 confirme le maintien du caractère laïc de l’État syrien est une victoire pour la Syrie et pour les diverses composantes ethniques et religieuses de la région, menacées d’être impitoyablement arrachées à leur terre comme en Irak, et aussi pour la diversité culturelle sans laquelle nul n’échappera à l’obscurantisme du cocktail explosif Daech-wahhabites-Frères Musulmans ; un partenaire qui a l’avantage d’être « libéral économiquement », comme l’a expliqué l’ancien juge antiterroriste Marc Trévidic [8].
À ce stade, une remarque s’impose. Concernant la clause 1 du communiqué, nous avons traduit le mot « secular » par le terme « laïc », avant de disposer du texte français de la deuxième réunion élargie, dite de Vienne 2, où le traducteur à opté pour le terme « non-confessionnel ». Nous maintenons le terme laïc. Aux Syriens d’en décider en cas de modification de leur Constitution.
Ceci dit, il était évident que les conclusions de Vienne 1 étaient loin de satisfaire les objectifs des frères ennemis saoudiens et qataris ayant dépensé tant de milliards pour nourrir la déferlante terroriste censée briser la volonté et les alliances syriennes ; le premier pour asseoir son hégémonie sur le monde musulman et la région face à la montée imperturbable des Iraniens ; le second pour s’assurer le monopole gazier au détriment des Russes et des Iraniens en acheminant ses gazoducs via le territoire syrien… la guerre pour le gaz étant un sujet déjà traité dans toutes ses dimensions.
De même, il était évident que la Turquie tout autant qu’Israël n’étaient pas particulièrement ravis du premier point garantissant l’unité et l’intégrité territoriale de la Syrie, chacun voulant grignoter une part du territoire syrien : la Turquie à la frontière Nord [9] et Israël au Golan [10], sous prétexte d’y établir de prétendues « zones de sécurité » là où ils ont largement contribué à semer le chaos, oubliant que leurs ambitions dépassaient la marge consentie par le chef d’orchestre états-unien.
ENTRE VIENNE 1 ET VIENNE 2
Beaucoup de bruits ont couru dans la presse arabe sur un probable torpillage de la réunion de Vienne 2 fixée au 14 novembre. M. Hussein Amir Abdollahian, vice-ministre iranien des Affaires étrangères, a déclaré sur Al-Mayadeen TV [autour du 10 ou 11 novembre ?] que l’Iran pourrait ne pas y participer si Washington continuait à mener des consultations unilatérales avec certains pays participants à l’exclusion d’autres, sans plus de précisions.
Par la suite, nombre d’articles de presse ont rapporté que le « quatuor » Washington-Qatar-Turquie-France s’arrangeait, en coulisses, pour contourner les résultats de l’initiative russe en jouant sur la liste des groupes de l’opposition syrienne qui participeraient au dialogue inter-syrien et sur la liste des « groupes armés non étatiques » à classer sur la liste internationale des organisations terroristes, accusant Moscou de vouloir y inclure tous les mouvements rebelles armés dits « modérés » et non seulement Daech et le Front al-Nosra [ce dernier n’étant pas mentionné dans le communiqué de Vienne 1], en plus d’avoir élaboré un texte en huit points qui « n’exclut pas que Bachar al Assad soit candidat à l’élection présidentielle, bien que son départ soit considéré par les pays occidentaux et arabes comme une condition de la paix » [11].
Quant à l’Arabie Saoudite, les manœuvres de son ministre des Affaires étrangères furent moins discrètes, menaçant qui voulait l’entendre d’un coup de force militaire en Syrie, de davantage de soutien aux « groupes armés de l’opposition » et de pire encore, si tous les participants ne cédaient pas à son dogme haineux de destitution du président Bachar al-Assad préalablement à toute négociation.
Autant de rumeurs et de menaces ayant amené, le 12 novembre, la porte parole du Ministère russe des Affaires étrangères, Mme Maria Zakharova, à rappeler les règles du jeu :
« Nous accordons une grande importance au développement du potentiel constructif du Groupe de soutien à la Syrie, qui se réunira à Vienne le 14 novembre au niveau ministériel. En nous basant sur la ligne fondamentale de la Russie sur le processus de paix en Syrie, nous avons l’intention de poursuivre un travail actif pour parvenir à une compréhension commune claire concernant l’appartenance de tel ou tel groupe de combattants syriens aux organisations terroristes, ainsi que pour promouvoir le processus de paix sur la base du Communiqué de Genève du 30 juin 2012 et de la déclaration finale de la réunion de Genève du 30 octobre 2015.
Malheureusement, le fonctionnement de ce mécanisme d’accompagnement diplomatique du processus de paix en Syrie, que Moscou juge efficace depuis son lancement il y a deux semaines, subit déjà des tentatives de déformer son objectif fondamental. On a l’impression que tout le monde n’a pas compris correctement la vocation de ce format. De notre point de vue, il permet précisément et de manière franche (ce qui est important) de dialoguer et surtout d’avancer vers le rapprochement des positions.
À la veille de la réunion ministérielle, les États-Unis ont très hâtivement suggéré d’organiser le travail de trois groupes – sur l’opposition, la lutte antiterroriste et les aspects humanitaires. Je souligne qu’il n’y a eu aucune consultation préalable avec la partie russe quant à la date et le lieu des réunions. Nous percevons clairement une aspiration à travailler de manière unilatérale et séparer les pays du groupe de Vienne en « meneurs » et « suiveurs ». Nous ne pouvons pas accepter de telles règles du jeu ». [12]
Mais le 13 novembre, l’horreur a frappé Paris. Le monde entier a chaleureusement témoigné de sa solidarité avec le peuple français, y compris le Président syrien, malgré le silence quasi-universel sur les attentats quotidiens contre le peuple syrien. Et nombre de personnalités politiques, de la majorité et de l’opposition françaises, ont déclaré publiquement qu’il fallait « parler » à Bachar al-Assad, l’ennemi numéro 1 étant le terrorisme ; quoique certains nous disaient clairement : « nous réglerons son sort plus tard » en espérant obtenir par le jeu diplomatique ce qu’ils n’ont pu obtenir par la terreur, le feu et le sang.
Voici un extrait de l’intervention de M. Allain Juppé le lendemain des attentats meurtriers du 13 novembre au journal de 20 H d’Antenne 2 :
« J’étais sur la ligne du gouvernement, ni Daech ni Bachar. Aujourd’hui (…) il y a des hiérarchies, il y a des priorités, il faut écraser Daech (…) Ensuite, nous verrons comment organiser la réconciliation des Syriens en changeant les équipes de Damas, mais priorité à écraser Daech, ce qui veut dire que nous devons clarifier nos buts de guerre avec les Américains, avec nos partenaires arabes, mais aussi avec les Turcs et avec les Russes, il faut s’y mettre tous… » [13].
Bachar al-Assad est ici remplacé par les « équipes de Damas » ! Comprendre qu’il n’est pas question pour « le meilleur d’entre tous » de ne pas continuer à jouer des relations des dirigeants français avec les truands néoconservateurs de tous bords et les géniteurs nourriciers des criminels ensauvagés, qui viennent d’éteindre les lumières de Paris, après avoir éteint tant de vies, nous condamnant à la double peine : vivre la douleur de la France tout en vivant celle de la Syrie.
En tout cas, concernant ses « partenaires arabes » avec lesquels il doit encore « clarifier nos buts de guerre », il en va de l’honneur de la Syrie et des Syriens de ne pas en faire partie ; car, en effet, « on ne peut devenir respectable juste parce qu’on a de l’argent et du pétrole », comme lui a soufflé son collègue du parti des Républicains, M. Thierry Mariani [14].
VIENNE 2, 14 NOVEMBRE 2015
Le texte de cette deuxième réunion est consultable (en français) sur le site France diplomatie [15]. Une comparaison de la liste des participants révèle la présence de la Ligue arabe, apparemment absente de la réunion de Vienne 1, ce qui mérite de rappeler que la Syrie n’en faisant plus partie de par les magouilles des Qataris et des Saoudiens, avec la complicité de son Secrétaire général égyptien, Nabil el-Arabi, le sort de la Syrie par ce groupe d’États présenté comme «Le Groupe de soutien international à la Syrie », ou ISSG, se discute en l’absence de la Syrie, un État légitime, un Gouvernement légitime, un Président légitime, un Membre de l’ONU.
Pour rappel, le 11 novembre, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, avait déclaré :
« L’objectif principal de [Vienne 2] serait la détermination de la liste des groupes d’opposition en Syrie qui peuvent négocier le règlement politique de la situation ainsi que la clarification de la notion d’ « opposition modérée » et l’élaboration d’une autre liste commune, celle des organisations terroristes.
Il est évident qu’il est désormais impossible d’avancer sur cette question sans la clarifier. Il est également impossible d’avancer sur une autre direction, figurant dans la déclaration du 30 octobre, celle du lancement du processus politique sous l’égide de l’ONU entre les représentants de l’opposition et du gouvernement.
Si au lieu d’un travail concret sur ces deux questions (la liste des organisations terroristes et les négociations entre le gouvernement et l’opposition) quelqu’un avance des idées abstraites, « allons renverser le régime et tous les problèmes se régleront d’eux-mêmes », il n’y a aura bien entendu aucun succès lors de cette rencontre »[16].
Or, les principales additions par rapport à Vienne 1 sont :
- Un calendrier : les participants se sont entendus pour réunir des représentants du gouvernement syrien et de l’opposition pour des négociations formelles avec l’objectif du 1er janvier. Ils ont affirmé leur soutien à un cessez-le-feu et à un processus mené par les Syriens en vue de rédiger une nouvelle Constitution d’ici six mois, et d’organiser des élections libres et équitables conformément à cette constitution d’ici dix-huit mois, le tout sous les auspices de l’ONU.
- L’ISSG a réaffirmé qu’il importait de se conformer à toutes les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations Unies, notamment la résolution 2199 sur l’arrêt du commerce illégal de pétrole, d’antiquités et d’otages, dont bénéficient les terroristes. [Ce qui implique de se conformer aux résolutions 2170 et 2178, mais jusqu’ici aucune condamnation des États qui soutiennent incontestablement les terroristes. Au contraire ce même jour se tenait le G20 en Turquie chez M. Erdogan… Comme quoi tout est affaire de définition du terrorisme que la Syrie réclame depuis les années quatre-vingt, pour avoir eu à souffrir d’attentats terroristes non moins horribles que l’attentat du 13 novembre à Paris…N.d.A].
- L’ISSG s’est déclaré préoccupé par le sort des réfugiés et des personnes intérieurement déplacées et a souligné la nécessité de mettre en place les conditions de leur retour en toute sécurité. [Excellente nouvelle pour ceux qui souhaitent ce retour, à condition que ce ne soit pas la porte grande ouverte à toutes les intrusions et manœuvres de certaines ONG semeuses de troubles et de mensonges… [N.d.A]
- En ce qui concerne la lutte contre le terrorisme et conformément à la clause 6 du Communiqué de Vienne, l’ISSG a rappelé que Daech, le Front Al-Nosra et d’autres groupes terroristes, tels que désignés par le Conseil de Sécurité des Nations Unies, et par ailleurs comme il a été convenu par les participants et avalisé par le Conseil de Sécurité des Nations Unies, doivent être vaincus. [Le Front al-Nosra a-t-il été ajouté grâce à l’insistance de M. Fabius ou, malheureusement, grâce à la terrible tragédie qui a frappé la France ? N.d.A].
- Le Royaume hachémite de Jordanie a accepté d’aider à élaborer, au sein des représentants de la communauté militaire et du renseignement, une qualification commune des groupes et des individus permettant éventuellement de les désigner comme terroristes, avec l’objectif d’y parvenir pour le début du processus politique sous les auspices des Nations Unies.
Sur ce dernier point, l’on pourrait se demander s’il s’agit d’un « miracle », comme l’a dit publiquement le ministre syrien des Affaires étrangères, M. Walid al-Mouallem, lorsque MM. Poutine et Lavrov l’ont informé de leur projet de lutte internationale contre le terrorisme englobant les États régionaux, ou d’un tour de magie.
Quant à la « communauté du renseignement et de ses initiatives communes », mis à part le fait établi que les services du renseignement de plusieurs pays occidentaux ont largement participé à la guerre souterraine contre la Syrie au sein des cellules secrètes multinationales en Turquie et en Jordanie [MOK], il faut espérer que le gouvernement français tiendra désormais compte des avertissements des « anciens », tels MM. Yves Bonnet et Alain Chouet ou M. Bernard Squarcini, lequel vient de faire savoir :
« Il y a deux ans déjà, les services syriens m’avaient effectivement proposé une liste des Français combattant en Syrie. J’en avais parlé à mon ancien service qui en a rendu compte à Manuel Valls. La condition des Syriens était que la France accepte de coopérer avec leurs services de renseignements. On m’a opposé un refus pour des raisons idéologiques » [17].
Des raisons « idéologiques » ? Peut-être. C’est en tout cas une idéologie qui a contribué à aveugler une très grande partie de nos concitoyens qui ne supportent aucune contradiction, même de la part de leurs amis syriens en qui ils avaient confiance jusque là, et a contribué à nourrir la guerre souterraine dont le décompte des tués s’est arrêté à environ 250 000 depuis quelques semaines, sans que l’on comprenne pourquoi, puisque la liste macabre ne cesse de s’allonger.
CRITIQUES DE VIENNE 2
Pour certains analystes régionaux, le communiqué de Genève 2 est bel et bien enterré, ainsi que les « mascarades » savantes de M. de Mistura pour un « Taëf » à la libanaise qui aurait consacré des zizanies sectaires sur fond de confessionnalisme. Les États-Unis n’auraient pas les moyens d’entrer en guerre contre la Russie, couvriraient ses actions et seraient dans l’obligation de couvrir et de rassurer leurs alliés, d’où les dernières déclarations intempestives d’Obama et de John Kerry…
Pour d’autres, malgré le souhait des participants d’intensifier la lutte contre le terrorisme, aucune décision n’a été prise en ce sens, et le communiqué de Vienne 2 démontrerait l’absence d’une réelle volonté de mettre fin à la guerre internationale qui se déroule sur le territoire syrien, certaines parties essayant de la « geler » tant que les conflits géopolitiques entre les États-Unis et la Russie n’auront pas été réglés. À l’appui de ces analyses, plusieurs lacunes et contradictions :
- L’imposition d’un calendrier et d’un cessez-le-feu, avant de définir le terrorisme ou d’identifier les groupes terroristes « autres » que Daech et Jabhat al-Nosra, pose la question de savoir ce qui se passerait s’il était rompu par ces autres organisations comme Ahrar al-Cham, Jaïch al-Islam… notoirement soutenues par des Pays du Golfe et la Turquie. Dira-t-on qu’il s’agit des Forces de l’opposition armée de la Coalition d’Istanbul [CNS] connue sous le Sigle ASL ou des « Forces démocratiques de Syrie » ; une nouvelle armée créée dernièrement par les USA en soutien à la résistance syrienne en lutte contre Daech ? Qui aura à intervenir pour les contrer ? Que risquent vraiment les États qui les soutiennent ?
- Partant de là et étant donné que Genève 2 a été à l’origine de l’idée d’un gouvernement transitoire présenté de telle sorte que chaque partie puisse l’interpréter à sa guise, avec pour le Bloc occidental et ses alliés régionaux la ferme volonté de destituer le président Bachar al-Assad et d’amener les Frères Musulmans et/ou leurs agents au pouvoir, que signifie le paragraphe 5 : « Les cinq Membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies se sont engagés à soutenir une résolution du CSNU visant à autoriser une mission de surveillance du cessez-le-feu avalisée par les Nations Unies dans les parties du pays où les membres de la mission de surveillance ne seraient pas exposés à la menace d’attaques terroristes ainsi qu’à appuyer le processus de transition politique, conformément au Communiqué de Genève » ? Et pourquoi parler tantôt de processus politique, tantôt de processus de transition politique, alors que dans le communiqué de Vienne 1 il n’est question que de processus politique ?
- Quant aux bons auspices de l’ONU à tous les niveaux, le Président syrien a déjà répondu à la question :
« … une observation internationale ne signifie pas les organisations des Nations Unis qui n’ont franchement aucune crédibilité, car elles sont sous le contrôle des Américains et de l’Occident en général. Donc, lorsque nous parlons d’observation internationale, de participation ou de coopération, cela veut dire certains États qui ont été impartiaux durant la crise, n’ont pas soutenu le terrorisme, et n’ont pas essayé de politiser leurs positions vis-à-vis des événements en Syrie… » [18].
- Et enfin, l’absence de toute référence concernant les sorties et les frappes aériennes illégales dans l’espace syrien, qu’il s’agisse des USA ou de leurs alliés, dont la France ; la Russie étant légalement intervenue à la demande du gouvernement légitime syrien.
ET MAINTENANT OÙ ON VA ?
Depuis l’attentat du 13 novembre, pratiquement tous les médias rapportent que la France et la Russie intensifient leurs frappes en Syrie, d’où un sentiment d’amertume chez les Syriens et surtout beaucoup d’interrogations malgré la confiance qu’ils accordent à la parole de la bienvenue Russie, confiance renforcée depuis que le président Poutine a déclaré devant le monde entier que sa guerre en Syrie était préventive, la sécurité nationale de la Russie étant liée à la sécurité nationale de la Syrie. Comment et pourquoi coopère-t-il avec la France qu’ils considèrent comme le fer de lance d’une sale guerre qui n’en finit plus ?
Les médias parlent aussi de renversement d’alliances, tandis que M. Sergueï Lavrov, cité par des agences russes, a déclaré aujourd’hui [19] :
« Nous sommes prêts à une coopération pratique avec les pays de la coalition et à travailler avec eux pour en définir les modalités, qui, bien sûr, respecteraient la souveraineté de la Syrie et les prérogatives du gouvernement syrien ».
Alors que Manuel Valls déclarait ce même jour sur France Inter [20] :
« Le pouvoir, en Arabie Saoudite comme au Qatar, lutte contre Daech, ça c’est incontestable. Et moi je n’ai pas de raison de douter aujourd’hui de l’engagement de ces deux gouvernements… Reste la question de l’ensemble de ces financements… mais dans le Proche et le Moyen-Orient les choses sont toujours très compliquées et vous savez les liens qui existent entre le régime de « Bachar » et Daech. Vous savez aussi les liens qui existent entre le régime de « Bachar » et l’Iran. Vous savez… il y a la confrontation entre le monde sunnite et le monde chiite. Il faut avoir en permanence en tête ces questions. Mais pour nous, l’essentiel, chacun l’a bien compris, c’est la lutte contre le terrorisme et contre Daech. Et donc, nous [ne] pourrons accepter aucun élément qui participe du financement de ce terrorisme contre nous ».
Honnêtement, on croirait entendre le bulletin d’Al-Jazeera TV, sans oublier que si l’Arabie Saoudite et le Qatar ne se soucient que de Daech c’est bien parce qu’il a échappé au contrôle de tous ses géniteurs, y compris les États-Unis. D’où cette unanimité de lutte contre Daech, avec un gros trou de mémoire dans lequel tombent les autres groupes terroristes, moins la Turquie. Par conséquent, il n’est pas étonnant que le Bloc occidental et ses alliés aient accusé la Russie de ne s’en prendre qu’à l’opposition modérée « armée » plutôt qu’à Daech, dès tout le début de son intervention en Syrie.
Reste à savoir si la « coopération pratique » entre la Russie et la France dans l’espace aérien syrien, n’est pas une coordination obligée pour éviter que les avions militaires ne se télescopent, comme dans le cas des États-Unis.
Reste à savoir si la France a vraiment décidé de combattre le terrorisme ou si elle pense pouvoir le contrôler en continuant à bombarder la ville de Raqqa, alors que ses amis du Golfe sont les vrais inspirateurs de ces terroristes français qui ont tué des Français.
Une dernière question brûlante ; qui en France se souviendrait de la troupe « Gulanar » de la ville de Raqqa ? Qui se souviendrait qu’en 1986, Paris lui a offert sa médaille d’or en la préférant à soixante-seize autres troupes de danse populaire ?
Mouna Alno-Nakhal