Poutine prend ses distances avec les modèles occidentaux !
Russie: Structure du nouveau Gouvernement et virage anti-néolibéral?
Hier le 15 mai, le président russe Vladimir Poutine a adopté un oukase (décret présidentiel) posant la structure du Gouvernement, qui laisse soupçonner un intéressant virage idéologique. En effet, certains fétiches de l'idéologie néolibérale, essentiellement l'enseignement, semblent remis en cause pour aller vers une politique plus détachée des recommandations internationales, dont nous voyons les effets dévastateurs en France. La Russie prend-elle un virage idéologique anti-néolibéral?
Par l'oukase du 15 mai 2018, V. Poutine a posé la structure du nouveau Gouvernement russe. Et certains éléments sont particulièrement significatifs. L'on peut découper en trois blocs les éléments importants: l'enseignement et la recherche, les organes para-étatiques, l'économie réelle.
L'enseignement et la recherche contre les recommandations de l'OCDE?
Alors que sous les précédents gouvernements nous avions vu, sous les effets cumulés de plusieurs personnalités néolibérales comme le vice Premier ministre Shuvalov (qui sort du Gouvernement), l'ancien ministre de l'enseignement Livanov (qui avait été déjà démis de ses fonctions) et la vice Premier ministre Golodets (qui est transférée vers le sport et la culture), l'implantation inconditionnelle des recommandations de l'OCDE (voir notre texte à ce sujet ici) et l'imprégnation de cette idéologie pédagogiste, le divorce (ou du moins la séparation) semble en vue.
Tout d'abord, parce que ces personnalités fortes que nous venons de citer ne seront plus en poste, ces vices Premiers ministres qui font partie du bloc néolibéral de Medvedev, qui en sort assez affaibli. Sans oublier la mise en touche inattendue de son bras droit, Dvorkovitch, au champ de compétence indéfini.
Ensuite, parce que l'oukase prévoit une restructuration importante du ministère de l'enseignement et de la recherche. La logique de l'OCDE est de prendre en bloc l'enfant de la maternelle jusqu'à la fin de ses études et d'imbriquer la recherche et l'enseignement, déstructurant les deux. Des écoliers et des étudiants qui font des "projets", des thésards qui doivent encore suivre des cours, obtenir un diplôme de doctorat non pas suite à la soutenance de la thèse, mais à des examens, la thèse devenant secondaire en cycle de recherche. Ce schéma est facilité par l'imbrication institutionnelle des domaines.
Le Président a décidé de revenir au schéma antérieur à celui de la réforme de l'OCDE et de diviser le ministère de l'enseignement en deux ministères. De manière très symboliquement, le ministère de l'enseignement retrouve son appellation soviétique de ministère de l'instruction. En espérant que l'on revienne réellement à la mission première de l'école, à savoir d'instruire, de permettre aux élèves d'acquérir les connaissances qui leur permettront ensuite de se développer et de réfléchir de manière indépendante, et non de répéter par manque de connaissances des slogans intégrés sur les bancs de l'école pédagogiste. Ce ministère aura en charge l'école primaire et secondaire et les écoles professionnelles et techniques non supérieures.
De l'instruction s'autonomise la recherche, puisqu'elle demande logiquement d'avoir tout d'abord acquis les connaissances nécessaires et le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche est mis en place. Il doit préparer le programme de développement de la politique étatique en matière de recherche, s'occuper de l'enseignement supérieur professionnel, du développement des hautes technologies etc.
Remise en cause d'organes para-étatiques parasites
L'idéologie néolibérale, comme nous l'avions développé dans notre ouvrage Russie: la tentation néolibérale, a conduit en Russie à une attaque très forte contre l'institution historique qu'est l'Académie des sciences, qui a continué le combat et semble l'avoir remporté. Tout d'abord, car la division du ministère fait de celui de la recherche un ministère plus technique, comme à l'époque soviétique, l'Académie des sciences étant justement l'organe réellement en charge de son développement. Et la présence constante auprès du Gouvernement du nouveau président de l'Institution montre son retour dans l'arène. Ensuite, le président a mis fin à cet organe "indépendant" tant décrié qu'est FANO, cette Agence qui devait gérer le patrimoine, mais qui avait un droit de regard sur le financement des axes de recherche, sans avoir mis en place de conseil scientifique à ses côtés. Cette tentative de transformer l'Académie des sciences en Club vieillissant et de faire main basse sur son patrimoine a échoué. Le Gouvernement est à nouveau en charge des conditions matérielles de fonctionnement.
L'enseignement et la recherche sont également débarrassés de la gestion de Rosmolodej, Agence fédérale en charge de la jeunesse, qui passe sous contrôle direct du Gouvernement et donc dont les fonctions sont réintégrées, ce Gouvernement qui assurera aussi désormais la fonction de contrôle sur le fonctionnement de l'enseignement et de la recherche, fonction qui ne sera pas entre les mains d'une Agence autonome. Il y a reprise en main de l'Etat sur ses composantes, réappropriation des fonctions.
Un autre élément idéologiquement important est ce Gouvernement ouvert, directement issu de l'Open Governement d'Obama, mis en place en Russie sous la présidence Medvedev, dont nous avions également parlé dans notre ouvrage sur le néolibéralisme. Auprès du Gouvernement, un ministère était spécialement chargé des liens entre le Gouvernement et cette structure "indépendante", peuplée d'experts d'un libéralisme tout radical. Le lien est rompu, ce ministère-commission est supprimé.
Mise est faite sur l'économie réelle
Au-delà des discours fantasmagoriques sur le tout numérique, l'on remarque que la structure gouvernementale met l'accent sur le réel. Et la question budgétaire est prioritaire, ce qui est marqué par la création du poste de Premier vice-Premier ministre - ministre des Finances.
Le ministère des communications est rebaptisé ministère du développement numérique et de la communication. Ce qui cadre l'engouement numérique à la recherche et la communication de l'Etat.
L'élément le plus significatif est la sortie des représentations russes économiques à l'étranger de la tutelle du ministère de l'économie et de leur transfert au ministère de l'industrie. Il s'agit de réellement travailler à la mise en place de conditions favorables au développement de l'export des productions russes et non aux négociations politiques abstraites, dont les résultats sont assez discutables.
Il semblerait que les derniers oukases du Président Poutine (sur le nouvel oukase de mai, voir ici) marquent un virage idéologique, une vision plus réaliste des intérêts et des dangers que les dérives (néo)libérales globales peuvent présenter. En cela, la vague continue de sanctions et l'impasse russophobe des relations internationales ont obligé la Russie à reconsidérer le mode de partenariat avec les pays occidentaux et à s'interroger sur les intentions cachées derrière les incontournables recommandations des organismes internationaux, tenus par le Clan atlantiste.
Il reste à voir quelles seront les nominations aux postes ministériels, dans quelle mesure la politique du compromis sera prolongée et dans quelles proportions. Ou bien le pouvoir russe aura-t-il le courage du choix, ce qui serait une garantie d'efficacité.