C’est un bloc de trois phrases dans l’avant-dernière page de l’accord de Paris sur le climat, un énoncé qui serait anodin s’il ne s’agissait d’un texte de droit international où chaque mot compte. L’article 28 de l’accord est l’objet de toutes les spéculations depuis l’élection de Donald Trump à la Maison Blanche, car il pourrait ouvrir la voie à un désengagement des Etats-Unis, deuxième émetteur mondial de gaz à effet de serre, dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Le président élu des Etats-Unis, climatosceptique endurci, n’a pas fait mystère de son hostilité à l’accord conclu fin 2015 lors de la COP21, qui prône la transition vers une économie décarbonée – pour contenir le réchauffement sous le seuil des 2°C – alors que lui promeut un modèle énergétique basé sur le pétrole, le gaz et le charbon. Or, l’article 28, qui fixe les conditions de sortie de l’accord, souffre d’une faille dans laquelle la future administration Trump pourrait être tentée de s’engouffrer, remettant ainsi en cause les engagements pris par Barack Obama.
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D’après l’article, tout pays souhaitant dénoncer l’accord doit attendre trois ans à compter de son entrée en vigueur – le 4 novembre –, puis respecter un préavis d’un an, avant de s’en libérer effectivement. Quatre ans, c’est la durée du mandat de Donald Trump.
Mais le dernier alinéa de cet article précise qu’une partie ayant dénoncé la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) « sera réputée avoir dénoncé également le présent accord [de Paris] », puisque l’accord de la COP21 a été adopté sous les auspices de la CCNUCC. Comme la Convention-cadre est en vigueur depuis 1994, la condition des trois ans, fréquente dans les traités internationaux, est remplie. Tout pays peut donc aujourd’hui en sortir s’il respecte le préavis d’un an.
Cette hypothèse d’un double retrait américain de la CNUCC et de l’accord de Paris fait planer un nuage sombre sur les négociations en cours à Marrakech, ville hôte de la COP22. « Le leadership des Etats-Unis a été décisif pour construire l’accord de Paris », a rappelé Elina Bardram, directrice générale pour le changement climatique auprès de la Commission européenne, interrogée le 11 novembre au Maroc. Refusant de « spéculer sur les décisions politiques éventuelles du nouveau président élu », elle assure que la détermination européenne à respecter les engagements de Paris « reste intacte ».
Un accord « ratifié par Obama, mais au nom de la nation »
Même méthode Coué dans les rangs de la délégation chinoise, qui promet de poursuivre ses efforts et « attend de voir » ce que fera son partenaire américain après l’investiture de M. Trump, le 20 janvier 2017. Depuis 2014, les deux plus gros pollueurs de la planète ont fait de l’action contre le réchauffement l’un des axes-clés de leur relation bilatérale. Un retrait de Washington n’annulerait pas l’accord de Paris mais redistribuerait les cartes de la gouvernance climatique.
« Il sera, à mon sens, extrêmement difficile » de revenir en arrière, a indiqué de son côté Salaheddine Mezouar, le ministre marocain des affaires étrangères, qui préside la COP22. Si une telle démarche de retrait américain est possible, « rien n’indique pour le moment que ce sera la voie choisie par les Etats-Unis, observe Sébastien Duyck, juriste au Centre pour les lois environnementales internationales (CIEL), à Genève. Si Donald Trump s’y résout, cela déclenchera une longue bataille juridique interne avant qu’il obtienne un accord du Sénat ». Depuis Washington, le dirigeant du CIEL, Carroll Muffett, mesure lui aussi la difficulté de sortir du double cadre de la CCNUCC et de l’accord de Paris : « La convention climat est un traité international solide, conclu il y a près de vingt-cinq ans. Un retrait aurait un impact négatif sur la diplomatie américaine, explique le juriste. Quant à l’accord de Paris, il faut tout de même rappeler qu’il a été ratifié par Barack Obama, certes, mais au nom de la nation américaine. »
Pour n’avoir ni à patienter quatre ans avant de rejeter l’accord de Paris, ni à activer la clause de sortie de la Convention-cadre, le président élu pourrait emprunter une troisième voie, qualifiée par les observateurs d’« option passive » : « Une autre stratégie possible est de rester dans l’accord de Paris, de ne pas mettre en œuvre la contribution nationale américaine – ce qui ne sera pas sanctionné puisque l’accord ne repose pas sur la sanction mais sur l’incitation – et de piéger l’accord de l’intérieur », avance Matthieu Wemaëre, avocat et expert en droit de l’environnement.
Un climatosceptique pour protéger l’environnement
Rien n’oblige en effet Donald Trump à réduire d’ici à 2025 les émissions de gaz à effet de serre de 26 à 28 %, comme le recommande la contribution américaine rendue publique en novembre 2014. Il peut aussi freiner les programmes fédéraux enclenchés par son prédécesseur. Il prévoit de nommer Myron Ebell, directeur d’un think tank climatosceptique financé par les industriels des énergies fossiles, à la tête de l’Agence de protection de l’environnement (EPA), l’instance qui veille notamment au respect de la réglementation gouvernementale.
A la conférence de Marrakech, beaucoup espèrent que la nouvelle administration s’attellera à des priorités domestiques, comme la question de l’emploi, avant de mettre en œuvre ses vues sur le climat. Les plus optimistes imaginent même un « contre-effet Trump » en se remémorant les mois qui avaient suivi l’élection de George W. Bush en 2000 et sa décision de dénoncer le protocole de Kyoto. « Au lieu de figer le processus de négociations en cours, l’attitude arrogante de Bush avait au contraire donné un nouvel élan à la dynamique internationale », rappelle Sébastien Duyck.