Après avoir inauguré à Abu Dhabi, sous une chaleur étouffante, la première base militaire française au Moyen-Orient, Nicolas Sarkozy a prononcé, mardi 26 mai, un discours cadrant ce tournant stratégique imprimé par sa diplomatie, au moment où les tensions s'accumulent autour de l'Iran et de son programme nucléaire.
Vidéo : Nicolas Sarkozy inaugure la base militaire française d'Abu Dhabi
Comme pour désamorcer les critiques qui verraient dans ce choix d'implantation une posture de va-t-en guerre, le président français a assuré que cette "présence militaire permanente de la France ne vise personne". "La France cherche partout à faire prévaloir des solutions pacifiques et diplomatiques", a-t-il souligné.
La base militaire, avec une forte composante navale, doit accueillir environ 500 militaires français. "Elle traduit simplement l'engagement de la France, dans le long terme, aux côtés de ses amis : s'il devait leur arriver quoi que ce soit, nous serions à leurs côtés", a dit le chef de l'Etat.
Le premier accord de défense bilatéral avec la fédération des Emirats arabes unis remonte à 1995, suivi de la mise en place d'un "partenariat stratégique". De longue date, des navires militaires français font escale à Abu Dhabi et des exercices militaires conjoints ont lieu régulièrement.
Le lien avec les Emirats, détenteurs des cinquièmes réserves mondiales d'hydrocarbures, passe aussi, depuis longtemps, par la présence de la firme Total et par les contrats d'armement. Mais M. Sarkozy a introduit deux nouveautés. D'une part, le caractère permanent d'une base militaire, destiné, a-t-il expliqué, à "illustrer les responsabilités que la France, puissance globale, entend assumer aux côtés de ses partenaires privilégiés, dans une région névralgique pour le monde".
D'autre part, depuis janvier 2008, le lancement d'une coopération dans le nucléaire civil, la plus concrète nouée avec un Etat musulman depuis le début de la présidence de M. Sarkozy. Le chef de l'Etat a brandi les offres d'exportation de cette technologie française comme un message à l'Iran. En substance : tout est possible dès lors que les normes de la non-prolifération sont respectées.
"GUERRE ASYMÉTRIQUE"
A Abu Dhabi, si l'Iran n'a pas été cité une seule fois publiquement par le président français, ce sont bien les ambitions régionales de la République islamique, éminemment angoissantes pour les pays arabes du Golfe et pour Israël, qui concentrent l'attention.
Les Emirats (fédération de 6,4 millions d'habitants située près du détroit d'Ormuz, par lequel transitent 40 % du pétrole mondial) cherchent à diversifier leurs garanties extérieures de sécurité face à l'Iran. En s'implantant dans le Golfe, l'armée française rejoint le dispositif militaire occidental dans la région, dominé par les Etats-Unis.
La crainte est vive d'une montée des tensions dans la région où l'Iran renforce son potentiel militaire. Le puissant corps des Gardiens de la révolution est chargé, depuis septembre 2008, d'assurer la défense de la côte dans le Golfe. Les experts occidentaux se penchent sur les capacités de "guerre asymétrique" de ces pasdarans, qui pourraient prendre la forme d'entraves au trafic maritime (mines flottantes) ou d'attaques contre des navires et des infrastructures pétrolières.
M. Sarkozy a annoncé qu'en vertu du nouvel accord de défense signé mardi avec les Emirats des "réponses spécifiques et adaptées, y compris militaires", seront décidées en commun "lorsque la sécurité, la souveraineté, l'intégrité territoriale et l'indépendance des Emirats arabes unis sont affectées".
Première implantation militaire française à l'étranger en dehors de l'Afrique, la base d'Abu Dhabi constitue un point d'appui pour les navires français évoluant entre le Golfe et l'océan Indien, le long de l'"axe stratégique" identifié depuis 2008 comme une priorité de l'action extérieure de la France. Elle fournira un poste utile pour le renseignement, près de l'épicentre des tensions au Moyen-Orient. Mais elle reste modeste, en effectifs et en matériel, en comparaison de celle de Djibouti, où stationnent 3 000 soldats français. Et son positionnement à l'ouest du détroit d'Ormuz, dans un "cul-de-sac" maritime, limite a priori son importance pour l'engagement militaire français en Afghanistan.
"Cinq cents soldats ne changent pas l'équilibre stratégique dans le Golfe", nous déclare un officiel émirati, selon lequel la base d'Abu Dhabi, censée avant tout accompagner les ventes d'armement, était déjà prévue dans l'accord de défense de 1995, qui n'a jamais été rendu public. Celui de 2009 le sera, dit-on à l'Elysée, mais après le processus de ratification.
Natalie Nougayrède
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