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20/10/2016

Poutine, un fantasme français.

En une phrase : on aime Poutine parce que nous reconnaissons notre humanité en Lui, ce qui manque aux dirigeants occidentaux ! 

 

Poutine, un fantasme français.

 

Rarement un président étranger aura, dans l’hexagone, suscité autant de passions et concentré autant de critiques que Vladimir Poutine. La raison en est simple : il incarne avec excès la figure de l’homme d’Etat européen dont la modernité nous a privés.

Ce n’est qu’une anecdote mais elle est révélatrice. Rendu furieux par les arguments des élus parisiens à l’occasion d’un débat sur l’installation prochaine d’un camp de migrants, un de leurs électeurs leur avait jeté : « La prochaine fois, je voterai Poutine ! » L’assemblée, gauche et droite confondues, en était restée bouche bée.

Vladimir Poutine président ? La perspective est virtuelle, mais elle n’est pas pour autant dénuée de signification, à six mois de l’élection présidentielle. Au contraire. « Poutine participe à la campagne électorale française, non parce qu’il finance tel ou tel parti, comme on a pu le dire, mais tout simplement parce qu’il est au centre du débat », explique l’écrivain et ancien diplomate Vladimir Fédorovski. Et si le président russe occupe cette situation, ce n’est pas à cause de l’épisode tragi-comique de sa visite reportée (lire notre encadré), de la vente manquée des Mistral (lire page 22) ou des crises ukrainienne et syrienne. Ces sujets, importants, sont insuffisants à expliquer pourquoi Vladimir Poutine est regardé comme l’homme providentiel ou comme un cauchemar.

Surtout comme un cauchemar, d’ailleurs. Pour la militante et essayiste Caroline Fourest, le président russe est « un dirigeant autoritaire et viril, mateur de Tchétchènes, d’homosexuels, de punks féministes, de journalistes ». En juin 2014, une Femen avait détruit à coups de pieu en bois la statue de cire du président russe au musée Grévin. Un geste qui n’avait guère ému l’opinion. « Le peuple russe mérite mieux que cet ancien KGBiste responsable de terribles crimes de guerre », estime de son côté Bernard-Henri Lévy, qui voit en Poutine « la honte de la Russie ». « Un drôle de coco », « un sale type », pour l’ancien éditorialiste de RTL Jean-Michel Aphatie, le “maître du Kremlin” est régulièrement moqué, caricaturé.

Évoquant ainsi la cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques d’hiver à Sotchi, en 2014, Daniel Cohn-Bendit, alors député européen (Verts) alertait sur la récupération politique qu’allait pouvoir en faire Poutine : «Il va arriver torse nu pour l’inauguration. Il va faire un combat au centre du stade olympique de patinage, contre un ours […]. Les chefs d’État qui iront là-bas cautionneront cette démonstration de force, comme on a cautionné la démonstration de force des Chinois à Pékin en 2008, comme on a cautionné Hitler en 1936.»

La reductio ad hitlerum. Un grand classique que reprennent à leur compte nombre d’intellectuels comme en témoigna le plateau entier de l’émission C dans l’air (France 5) où Yves Calvi («Ces défilés militaires nous font aussi penser à l’Allemagne nazie»), Gérard Grunberg (Poutine «veut la grande Russie […] comme Hitler voulait la grande Allemagne») ou Pascal Perrineau («Il se comporte de plus en plus […] comme les fascistes dans les années vingt ou les années trente») avaient filé vingt minutes durant cette improbable métaphore historique.

Il faut remonter à Pinochet, Thatcher ou peut-être même Franco pour retrouver en France trace d’une telle détestation à l’égard d’un homme politique étranger. Même George W. Bush n’avait pas eu droit à un tel traitement. Contre Poutine, tout est bon ! Citations tronquées (TF1), vidéos manipulées (le Petit Journal de Canal Plus), éditoriaux agressifs, choix d’un vocabulaire connoté transformant “influence” en “propagande”, “fermeté” en “violence”, etc.

« Pour nos médias, Poutine est le mal incarné », explique Thierry Mariani, député des Français de l’étranger et coprésident de l’Association Dialogue franco-russe. « Les titres les plus anti- Poutine sont indubitablement Libération et le Monde, suivis des radios et télévisions publiques, qui désinforment, mentent et s’assoient sur toutes les règles de déontologie journalistique », appuie Dimitri de Kochko, rédacteur à la Russie d’aujourd’hui, ancien journaliste à l’Agence France Presse.

Pourquoi tant de haine ? Pourquoi, déjà, cette obsession alors que d’autres pays aux dirigeants au moins aussi autoritaires (Chine, Venezuela, pays africains) sont à peine évoqués ? Passons sur la première raison, qui veut que nos élites seraient aux ordres de Washington. L’argument n’est pas irrecevable, mais il est trop aisément retournable. Entre les “idiots utiles de l’idéologie atlantiste” et les “valets de Poutine”, il doit exister des raisons qui échappent à la suspicion partisane.

Parmi elles figure incontestablement l’absence, au sein de nos élites politico-médiatiques, de la culture nécessaire pour comprendre ce qu’est Poutine, de quoi il procède : la Russie elle-même, son histoire longue. « À l’occasion de la publication de ce rapport où il était écrit que les États-Unis devaient lutter contre l’État islamique, Ébola… et la Russie, raconte Fédorovski, j’avais dit à un ambassadeur : “Ce n’est pas possible, il faudrait que tous ces experts relisent Tolstoï” ; il m’avait corrigé : “Non, il faudrait qu’ils lisent Tolstoï.”»

Ils apprendraient ainsi que la Russie, ce pays immense bordé de plaines, perpétuellement sous la menace d’une invasion, en conjure la peur en établissant un cordon de pays amis — ceux-là mêmes qui sont aujourd’hui activement démarchés par l’Otan. Un pays qui a frôlé l’implosion dans les dernières années du siècle. « Les Russes se sentent humiliés par le regard que les Européens portent sur eux, or, Poutine résiste à cela, il leur est un rempart contre cette humiliation », avance le sénateur centriste Yves Pozzo di Borgo. « La Russie a toujours été considérée comme un objet étrange, exotique, vaguement menaçant, reprend son collègue parlementaire Nicolas Dhuicq. Aujourd’hui, le Russe se sent acculé, méprisé, alors que pense-t-il ? Qu’il lui faut montrer les dents… »

«Il y aurait un gène du dictateur dans le sang russe et un gène de l’individu soumis chez le citoyen russe. C’est du racisme ou à tout le moins du négationnisme historique», poursuit Fédorovski. « Un peuple russe écrasé, portant aux nues un dictateur sanguinaire ? On prend les Russes pour des idiots », tempête Nicolas Dhuicq, pour qui l’Europe oublie «la fierté que les Russes avaient perdue dans les années Eltsine et qu’ils ont retrouvée aujourd’hui».

En vérité, l’hystérie anti-Poutine tient encore à autre chose. À une chose essentielle. Poutine est un reproche vivant adressé aux Occidentaux. Il est ce qu’ils ne sont plus, ce qu’ils ont parfois honte d’avoir été mais que, inconsciemment, ils aspirent encore à être. « Qu’a-t-on entendu, jeudi dernier, lors du premier débat de la primaire des Républicains ? questionne Fédorovski. L’autorité de l’État ! Tous n’avaient que cette notion à la bouche. Or, qu’on le veuille ou non, Poutine la symbolise. » « Il représente tout ce qui faisait la force du politique, qui chez nous s’est mué en faiblesse, reprend Thierry Mariani. Aujourd’hui, la mode est au contre-pouvoir : la presse, les ONG… Un homme politique se demande toujours s’il va être capable de faire ce pour quoi les gens l’ont élu. En Russie, c’est encore le peuple qui a le dernier mot. Poutine n’est pas dans l’air du temps, voilà pourquoi on le déteste. » « Poutine, c’est la négation du court-termisme, la négation du politiquement correct et la négation de ce qu’on appelle en France la gauche caviar, appuie un expert en relations internationales. Or, précisément, ces trois notions sont complètement discréditées! De là vient son succès… »

Rappelons-nous : lorsqu’il est porté au pouvoir, en 1999, Poutine ne présente pas de réforme économique. Il n’en a pas et il s’en moque. Il connaît l’histoire. De sa méditation du règne d’Alexandre III et des écrits de Soljenitsyne, il a tiré trois mots : nationalisme, esprit du peuple, orthodoxie. Un triptyque affreux pour l’intelligentsia française, mais un discours qui parle à son peuple. Et au nôtre. Surtout au nôtre. « Poutine est en train de devenir un personnage dostoïevskien, opposé à la décadence occidentale. Sur le mariage homosexuel, le multiculturalisme, il prend des positions fondamentalement réactionnaires », notait Éric Zemmour. « Sa politique intérieure, son retour à la tradition authentique, aux valeurs, son rapprochement avec l’Église et son patriotisme fervent sont autant d’options politiques qui le mettent en rupture avec le politiquement correct qui a cours dans les élites d’Europe de l’Ouest », complète Aymeric Chauprade, géopolitologue et député européen.

Poutine défend la famille, se méfie du militantisme homosexuel, exalte le patriotisme. On vote des lois, on (re)construit des églises — mille par an depuis quinze ans. Le président russe sent, d’instinct, les sujets vitaux, un peu pour sa popularité, mais surtout pour son peuple. Ainsi de l’armée, du recours assumé à la force. C’est la petite phrase sur ces terroristes que l’on ira « buter jusque dans les chiottes ». Certes, peu subtile, mais pas improvisée, elle disait la détermination d’un dirigeant et rappelait que l’État est seul détenteur de la violence légale. Un scandale pour notre époque pusillanime. Une inutile brutalité ? Ses plus fervents supporters le reconnaissent : Poutine n’est pas un enfant de choeur.

À Beslan comme à Alep, sa méthode peut légitimement être critiquée. Mais le peindre en “tyran sanguinaire” ressort-il encore de la critique ? « Il faut s’entendre, reprend Mariani. Qui est l’ennemi ? Poutine ou l’État islamique ? En Russie, on n’en est pas à débattre de la meilleure façon de déradicaliser les apprentis djihadistes… » Et cette fermeté plaît. Aux Russes, d’abord, qui ne croient plus aux promesses mais aux actes et dont les trois quarts le soutiennent, mais aussi aux Français, toujours orphelins d’un homme providentiel et qui lui reconnaissent des qualités certaines. « Poutine s’adresse à nous par-dessus l’épaule de nos dirigeants dépréciés », notait un bon connaisseur de la Russie. Avec tous ses défauts, avec toute sa complexité, il nous rappelle ce que nous fûmes et nous reproche de n’être plus que l’ombre de nous-mêmes.

Mickaël Fonton et Amaury Brelet

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