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14/01/2015

La tentation du Patriot Act : traque aux dissidents et suspicion généralisée

La tentation du Patriot Act : traque aux dissidents et suspicion généralisée

Nicolas Bourgoin

 

De quoi Charlie est-il le nom ? Ceux qui nous somment de nous identifier à ce personnage imaginaire se garderont bien de répondre si la question leur était posée, et pour cause. Ces trois mots qui sonnent comme un slogan publicitaire sont devenus le symbole d’une tromperie à grande échelle : le détournement d’une émotion légitime et populaire à des fins politiques et même mercantiles ! Surfant sur la vague de stupeur et d’indignation collective provoquée par une agression armée contre des journalistes, le gouvernement fait feu de tout bois : appels à l’unité nationale, surveillance renforcée des citoyens et mesures liberticides et régressives. Mais cette opération de communication pourrait avoir une finalité infiniment plus coûteuse pour les populations qu’un simple resserrement des rangs : valider le choc des civilisations et de là, justifier une guerre civile et militaire contre l’Islam. Et pour requérir le soutien des populations, rien de tel qu’un bon formatage des consciences à propos de la « menace islamique ». Pour cette tâche les bonnes volontés ne manquent pas : rappelons que Charlie est aussi le nom d’un journal qui s’est fait de l’ostracisation des musulmans son fond de commerce et qui, sur cette question qui fâche, persiste et signe.

 

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La belle histoire de l’union nationale face à la barbarie du terrorisme n’aura duré guère plus que le temps qu’une manifestation. Une fois chacun rentré chez soi, la politique reprend ses droits. Et celle à venir a de quoi faire frémir : tentation d’instaurer l’équivalent du Patriot Act étasunien en France, quasi-déclarations de guerre contre l’Islam, prolongation de l’intervention militaire en Irak et, en guise de hors-d’œuvre, batterie de mesures sécuritaires venant s’empiler sur une avalanche de lois antiterroristes dont la dernière en date est seulement vieille de deux mois. Cette volonté à peine voilée d’instaurer la loi martiale en France a montré ce qu’il fallait définitivement penser des grandes tirades pour la liberté d’expression déclamées par les responsables politiques ou les medias mainstream – la présence dans la manifestation de dimanche de chefs d’États ou de ministres bien peu démocrates, la énième mise en examen de l’humoriste Dieudonné, cette fois pour « apologie du terrorisme » (incrimination passible de 7 ans de prison) avaient, il est vrai, déjà dissipé beaucoup d’illusions. Dans un régime totalitaire, il n’y a pas de délinquants mais des ennemis. Et la suspicion, généralisée, prend pour cible ceux qui sont considérés comme réfractaires aux diktats du pouvoir. Le pli semble être pris si l’on en croit certains journalistes qui recommandent de réintégrer de force les récalcitrants à l’unanimité décrétée par le gouvernement et les medias.

L’identification à un journal ouvertement islamophobe est désormais devenue une norme à laquelle chacun doit se plier. Et sur cette question, Charlie Hebdo ne craint pas la surenchère au risque d’attiser les tensions – mais peut-être est-ce là le but recherché. Le dessin de couverture du premier numéro d’après attentat représentant le visage du prophète Mahomet dessiné en forme de pénis (tête de nœud ?) est particulièrement nauséabond. Il paraît dans un contexte d’explosion des actes islamophobes en France et en Europe et de montée en force de l’islamophobie médiatique. Bernard Cazeneuve a d’ailleurs annoncé une protection renforcée des lieux de culte mais la priorité semble être donnée à ceux de la communauté juive. Depuis l’attentat, plusieurs dizaines de musulmans ont été agressés et une manifestation contre la « menace islamique » est prévue à Paris dimanche 18 janvier à l’image de celles qui ont lieu actuellement en Allemagne sous l’égide du mouvement PEGIDA. Cette « une » particulièrement insultante ne pourra qu’encourager tous ceux qui ont fait de l’anti-Islam leur cheval de bataille.

L’histoire se répète toujours deux fois, la première comme tragédie, la seconde comme farce. Cette phrase que l’on attribue à Marx semble ici trouver quelques échos. Il est vrai que l’agression contre les journalistes de Charlie Hebdo n’est pas l’attentat du 11 septembre 2001, que la batterie de mesures sécuritaires de Cazeneuve n’est pas le Patriot Act étasunien et que l’omniprésent « Je suis Charlie » est plutôt léger comparé au « nous sommes tous des américains ». Mais il ressort que l’exécutif s’est clairement engagé dans la fuite en avant du couple infernal  tension/répression aussi bien à l’intérieur (conflits communautaires) qu’à l’extérieur (conflit militarisé). L’expérience  montre pourtant que le choix de la guerre contre le terrorisme, en alimentant la menace même qu’elle prétend combattre, est de loin le plus coûteux pour les populations du pays agressé comme pour celles du pays agresseur.

 

 

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