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10/03/2010

Xynthia, un phénomène amplifié par l'absence d'une politique du littoral

par Alain Merckelbagh

LEMONDE.FR | 09.03.10 |

 

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La conjonction de plusieurs éléments explique l'ampleur de la catastrophe qui a meurtri la côte atlantique, principalement en Vendée et en Charente-Maritime.  Mais le phénomène naturel n'explique pas tout. L'absence d'une politique du littoral depuis plus de vingt ans contribue à cette situation.

Les effets de la tempête, amplifiés par la grande marée de coefficient 102 et un vent d'ouest, ont renforcé l'action de la mer sur la côte. En plusieurs points, les digues anciennes se sont rompues ou ont été submergées, dégradant les habitations et ateliers situés à proximité, et d'abord ceux qui se trouvaient à un niveau inférieur à celui des plages.


L'ampleur de l'événement tient aussi à la montée du niveau de la mer, dont la réalité est un fait même si les causes humaines du réchauffement climatique font débat. Celle-ci a été de l'ordre de vingt centimètres sur notre côte atlantique au cours du XXe siècle. La montée de 3 mm par an constatée par les données satellitaires se poursuit au plan mondial. Ce niveau moyen varie selon les mers et océans en fonction de la répartition thermique des masses d'eau. Une hauteur accrue de la mer, même de quelques dizaines de centimètres, induit une force qui amplifie les submersions et les dégâts provoqués. La vulnérabilité des zones côtières s'en trouve accentuée.

Mais la montée du niveau de la mer n'est en rien comparable à la montée résidentielle et touristique dans les communes littorales. Quelques chiffres illustrent ce propos. Les 892 communes littorales de la métropole occupent 4,4 % du territoire sur lequel réside en permanence 10 % de la population. A cela s'ajoute l'impact du tourisme, première activité économique du littoral. Ainsi, 36 % des résidences secondaires en France sont situées dans ces communes. La formidable attractivité de cet espace où chacun aspire à être au plus près du front de mer a engendré un essor immobilier et une montée des prix du foncier que le désir de rivage et l'absence de régulation entretiennent. Les prix des logements côtoient ceux du centre de nos plus grandes villes.

En outre, le bétonnage provoque une artificialisation du sol du fait des infrastructures urbaines. Aussi, lors des tempêtes, les fortes pluies moins absorbées par le sol rendu imperméable ruissellent rapidement et amplifient les débordements des cours d'eau.

Les maires, quelle que soit la taille des communes, décident des plans locaux d'urbanisme (PLU) et délivrent les permis de construire. Ils font l'objet de constantes sollicitations de la part des promoteurs et des particuliers pour augmenter les zones constructibles et les permis. Lors des cérémonies annuelles des vœux, les maires des petites communes du littoral présentent comme des trophées les permis de construire octroyés l'année précédente. Comment résister alors que l'activité résidentielle et touristique est dominante ?

Depuis la loi relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral de 1986, dite loi "littoral", l'absence d'une politique spécifique est patente. Il a d'ailleurs fallu attendre dix-huit ans pour que ses décrets d'application soient publiés. Alors qu'elle interdit ou limite la construction à proximité du rivage, elle fait constamment l'objet d'attaques de la part d'élus et de promoteurs qui veulent bâtir. L'Etat ne joue pas son rôle de régulateur et ne veille pas suffisamment à la bonne application des mesures qu'il prend, alors que cet espace fragile entre terre et mer justifie des mesures spécifiques. La prévention du risque inondation fait l'objet de contournement et de dérogation sur le littoral comme dans le reste du territoire. Mais sait-on qu'il existe des plans de prévention du risque littoral (PPRL) pour tirer les conséquences de l'action de la mer sur le rivage : la submersion et l'érosion côtière ? Ces plans devraient être pris en considération dans les schémas de cohérence territoriale (SCOT). Le grand ministère de l'écologie et du développement durable et pourtant aussi de la mer n'a pas l'heur de s'en soucier. Les intercommunalités qui en disposent sont peu nombreuses.

Trois mesures en matière d'urbanisme s'imposent sur le littoral. Il s'agit de donner la priorité à l'aménagement en profondeur, c'est-à-dire aux communes situées en arrière du littoral. Celui-ci s'opère sensiblement mais dans un désordre favorable au mitage du paysage. Il convient aussi que l'Etat fasse respecter l'obligation de réaliser des SCOT en zone littorale. Aller plus loin reviendrait à déplacer le pouvoir urbain des petites communes littorales au profit de la seule intercommunalité. En matière d'urbanisme, la proximité entre décideurs et bénéficiaires présente plus d'inconvénients que d'avantages pour assurer l'équilibre entre protection et aménagement, alors que la pression urbaine atteint un niveau exceptionnel. Enfin, la création d'un fond pour l'aménagement du littoral, comme cela existe en montagne, approvisionné par une taxe sur les plus-values foncières dégagées dans les communes littorales, permettrait des investissements collectifs. En effet, il n'est pas convenable que les communes de l'intérieur moins favorisées contribuent à l'équipement des communes dont l'attractivité n'est pas un handicap.

Le Grenelle de la mer, dont les travaux s'achèvent, ne s'est guère intéressé au littoral alors qu'une politique ne peut se concevoir sans considérer l'interaction avec la mer. Le seul développement résidentiel et touristique ne peut suffire à un avenir équilibré. Il est naturel que les activités maritimes actuelles y occupent pleinement la place dont elles ont besoin et que les activités nouvelles puissent s'implanter. Ainsi, le développement des énergies marines renouvelables en mer nécessitera des infrastructures de maintenance sur le littoral. L'Etat, peu dynamique par rapport au littoral, doit établir en concertation avec les collectivités territoriales une claire répartition des compétences. A cet égard, les régions ont un rôle de premier plan à jouer si la capacité d'agir leur est donnée.

Alain Merckelbagh est ancien directeur de l'environnement et de l'aménagement du littoral à l'Ifremer. Auteur du livre Et si le littoral allait jusqu'à la mer ! La politique du littoral sous la Ve République, Editions Quæ.

Le Monde :


00:44 Publié dans Cataclysmes | Lien permanent | |  del.icio.us | |  Imprimer | Digg! Digg |  Facebook | | | | Pin it! |

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