Photo: Raqqa avant

VIENNE I, 30 OCTOBRE 2015

Le « Communiqué conjoint agréé par les ministres de la réunion internationale de Vienne sur la Syrie » du 30 octobre 2015, est publié sur le site France Diplomatie (en anglais) [1]. Cependant, sous ce « même titre » vous trouverez (en français) les propos de M. Fabius à la presse ; un résumé d’où il ressort un point attendu et un autre plutôt surprenant de la part de quelqu’un qui était si satisfait du « bon boulot » de Jabhat al-Nosra [le Front al-Nosra] [2] :

« Nous avons discuté pendant huit heures. Il y a évidemment des points de désaccord : le principal est le rôle futur de Bachar al-Assad. Pour nous les choses sont claires, il est le principal responsable du désastre syrien et, donc, il n’est pas question qu’il soit le futur de la Syrie… nous avons beaucoup insisté à la fois sur la nécessité, pour arriver à la paix, que Bachar al-Assad ne fasse pas partie de l’avenir de la Syrie, et nous avons beaucoup insisté sur la lutte contre le terrorisme – contre Daech, contre Jabhat al-Nosra -, une lutte qui doit être amplifiée… » [3].

Voici la traduction du communiqué en question :

Le 30 Octobre 2015, les « participants » représentant la Chine, l’Egypte, l’UE, la France, l’Allemagne, l’Iran, l’Irak, l’Italie, la Jordanie, le Liban, Oman, le Qatar, la Russie, l’Arabie Saoudite, la Turquie, les Émirats Arabes Unis, le Royaume-Uni, l’Organisation des Nations Unies et les États-Unis, se sont réunis à Vienne pour discuter de la grave situation en Syrie et comment mettre un terme à la violence le plus tôt possible.

Les participants ont eu une discussion franche et constructive, couvrant les problèmes majeurs. Bien que des différences importantes subsistent entre les participants, ils sont arrivés à une compréhension mutuelle sur les points suivants :

  1. L’unité de la Syrie, l’indépendance, l’intégrité territoriale et le caractère laïc de la Syrie sont fondamentaux.
  1. Les institutions de l’État resteront intactes.
  1. Les droits de tous les Syriens, indépendamment de l’origine ethnique ou de la confession religieuse, doivent être protégés.
  1. Il est impératif d’accélérer tous les efforts diplomatiques pour mettre fin à la guerre.
  1. L’accès humanitaire sera assuré sur tout le territoire de la Syrie, et les participants accroîtront le soutien aux personnes déplacées, aux réfugiés, et à leurs pays d’accueil.
  1. Da’esh, et d’autres groupes terroristes, tels que désignés par le Conseil de sécurité des Nations Unies, et de plus, tel que convenu par les participants, doivent être vaincus.
  1. Conformément au Communiqué de Genève de 2012 et à la Résolution 2118 du Conseil de sécurité des Nations Unies, les participants ont invité l’ONU à réunir des représentants du Gouvernement syrien et de l’opposition syrienne pour un processus politique menant à des élections crédibles, inclusives, en vue d’une gouvernance non-sectaire, suivi d’une nouvelle Constitution et d’élections. Ces élections doivent être menées sous la supervision de l’ONU à la satisfaction de la gouvernance et des plus hauts standards internationaux de transparence et de comptabilisation des résultats, libres et équitables, avec participation de tous les Syriens, y compris la diaspora.
  1. Ce processus politique sera sous direction syrienne et appartient aux Syriens, le peuple syrien devra décider de l’avenir de la Syrie.
  1. Parallèlement à ce processus politique, les participants de concert avec les Nations Unies exploreront les modalités et la mise en œuvre d’un cessez-le-feu sur tout le territoire à partir d’une date précise. Dans les prochains jours, les participants travailleront à réduire les domaines de désaccord qui subsistent, et à construire sur des terrains d’entente. Les Ministres se réuniront de nouveau dans deux semaines pour poursuivre ces discussions.

D’emblée et sans entrer dans les détails de ce qui a précédé la tenue de cette réunion dite de « Vienne 1 », voici un court extrait d’une intervention télévisée de M. Ghaleb Kandil [4], Directeur du site New Orient News, qui résume, à son avis, le but essentiel de cette initiative de la diplomatie russe :

« Si nous devions tenir compte des principes de la morale et de la diplomatie, les États qui se sont fourvoyés dans le soutien du terrorisme, et qui continuent de le faire, méritent d’être jugés par un tribunal international similaire à celui qui a jugé le nazisme. Mais il se trouve qu’aujourd’hui ces États participent à un processus politique, voulu par M. Poutine, pour les dégager de cette voie. C’est pourquoi, il ne faut pas nous attendre à des solutions définitives à chaque étape de ce processus qui risque de se prolonger et qui évoluera en fonction de l’équilibre des forces sur le terrain. Tel est le plan russe dans un combat qui décidera de l’avenir du monde ».

Ce premier communiqué de Vienne a été jugé globalement positif par les Syriens, bien qu’il ne se fonde que sur le Communiqué de Genève de 2012 en faveur d’un gouvernement transitoire [5] et sur la Résolution 2118 de 2013 [6], sans rappeler les résolutions contraignantes du Conseil de sécurité 2170, 2178 de 2014 et la résolution 2199 de 2015, condamnant les organisations terroristes et ceux qui les soutiennent ou les encouragent de n’importe quelle façon que ce soit, y compris en se contentant d’acheter les produits de leurs larcins.

Une résolution 2118, dont le Général libanais, Amin Hoteit, avait clairement perçu les pièges, puisqu’au lendemain de son adoption il écrivait :

« La résolution 2118 « insistant sur le fait que la seule solution à la crise syrienne est un processus politique sans exclusive, dirigé par les Syriens, fondé sur le Communiqué de Genève du 30 juin 2012… », lequel a convenu des lignes directrices et des principes pour une transition politique par, entre autres, la mise en place d’un organe de gouvernement transitoire qui pourra comprendre des membres de l’actuel gouvernement et de l’opposition « ainsi que d’autres groupes »… ; il faudra être particulièrement prudent sur deux points. Le premier est de faire en sorte que le bloc occidental ne puisse pas choisir les membres de cet organe à sa convenance, mais qu’il soit effectivement composé de véritables représentants du peuple syrien. Le deuxième, est de veiller à ce qu’il ne présente pas cet organe comme le remplaçant de l’autorité légitime actuellement au pouvoir en Syrie. Ceci, parce que certains États pourraient persister dans leurs tentatives visant à faire admettre, dans ses rangs, des représentants de l’un quelconque des groupes prétendument révolutionnaires syriens… sous prétexte qu’ils sont « militairement victorieux » dans certaines zones, dites libérées, du territoire syrien…[7].

En dépit de ces risques qui demeurent, le fait que Vienne 1 confirme le maintien du caractère laïc de l’État syrien est une victoire pour la Syrie et pour les diverses composantes ethniques et religieuses de la région, menacées d’être impitoyablement arrachées à leur terre comme en Irak, et aussi pour la diversité culturelle sans laquelle nul n’échappera à l’obscurantisme du cocktail explosif Daech-wahhabites-Frères Musulmans ; un partenaire qui a l’avantage d’être « libéral économiquement », comme l’a expliqué l’ancien juge antiterroriste Marc Trévidic [8].

À ce stade, une remarque s’impose. Concernant la clause 1 du communiqué, nous avons traduit le mot « secular » par le terme « laïc », avant de disposer du texte français de la deuxième réunion élargie, dite de Vienne 2, où le traducteur à opté pour le terme « non-confessionnel ». Nous maintenons le terme laïc. Aux Syriens d’en décider en cas de modification de leur Constitution.

Ceci dit, il était évident que les conclusions de Vienne 1 étaient loin de satisfaire les objectifs des frères ennemis saoudiens et qataris ayant dépensé tant de milliards pour nourrir la déferlante terroriste censée briser la volonté et les alliances syriennes ; le premier pour asseoir son hégémonie sur le monde musulman et la région face à la montée imperturbable des Iraniens ; le second pour s’assurer le monopole gazier au détriment des Russes et des Iraniens en acheminant ses gazoducs via le territoire syrien… la guerre pour le gaz étant un sujet déjà traité dans toutes ses dimensions.

De même, il était évident que la Turquie tout autant qu’Israël n’étaient pas particulièrement ravis du premier point garantissant l’unité et l’intégrité territoriale de la Syrie, chacun voulant grignoter une part du territoire syrien : la Turquie à la frontière Nord [9] et Israël au Golan [10], sous prétexte d’y établir de prétendues « zones de sécurité » là où ils ont largement contribué à semer le chaos, oubliant que leurs ambitions dépassaient la marge consentie par le chef d’orchestre états-unien.

ENTRE VIENNE 1 ET VIENNE 2

Beaucoup de bruits ont couru dans la presse arabe sur un probable torpillage de la réunion de Vienne 2 fixée au 14 novembre. M. Hussein Amir Abdollahian, vice-ministre iranien des Affaires étrangères, a déclaré sur Al-Mayadeen TV [autour du 10 ou 11 novembre ?] que l’Iran pourrait ne pas y participer si Washington continuait à mener des consultations unilatérales avec certains pays participants à l’exclusion d’autres, sans plus de précisions.

Par la suite, nombre d’articles de presse ont rapporté que le « quatuor » Washington-Qatar-Turquie-France s’arrangeait, en coulisses, pour contourner les résultats de l’initiative russe en jouant sur la liste des groupes de l’opposition syrienne qui participeraient au dialogue inter-syrien et sur la liste des « groupes armés non étatiques » à classer sur la liste internationale des organisations terroristes, accusant Moscou de vouloir y inclure tous les mouvements rebelles armés dits « modérés » et non seulement Daech et le Front al-Nosra [ce dernier n’étant pas mentionné dans le communiqué de Vienne 1], en plus d’avoir élaboré un texte en huit points qui « n’exclut pas que Bachar al Assad soit candidat à l’élection présidentielle, bien que son départ soit considéré par les pays occidentaux et arabes comme une condition de la paix » [11].

Quant à l’Arabie Saoudite, les manœuvres de son ministre des Affaires étrangères furent moins discrètes, menaçant qui voulait l’entendre d’un coup de force militaire en Syrie, de davantage de soutien aux « groupes armés de l’opposition » et de pire encore, si tous les participants ne cédaient pas à son dogme haineux de destitution du président Bachar al-Assad préalablement à toute négociation.

Autant de rumeurs et de menaces ayant amené, le 12 novembre, la porte parole du Ministère russe des Affaires étrangères, Mme Maria Zakharova, à rappeler les règles du jeu :

« Nous accordons une grande importance au développement du potentiel constructif du Groupe de soutien à la Syrie, qui se réunira à Vienne le 14 novembre au niveau ministériel. En nous basant sur la ligne fondamentale de la Russie sur le processus de paix en Syrie, nous avons l’intention de poursuivre un travail actif pour parvenir à une compréhension commune claire concernant l’appartenance de tel ou tel groupe de combattants syriens aux organisations terroristes, ainsi que pour promouvoir le processus de paix sur la base du Communiqué de Genève du 30 juin 2012 et de la déclaration finale de la réunion de Genève du 30 octobre 2015.

Malheureusement, le fonctionnement de ce mécanisme d’accompagnement diplomatique du processus de paix en Syrie, que Moscou juge efficace depuis son lancement il y a deux semaines, subit déjà des tentatives de déformer son objectif fondamental. On a l’impression que tout le monde n’a pas compris correctement la vocation de ce format. De notre point de vue, il permet précisément et de manière franche (ce qui est important) de dialoguer et surtout d’avancer vers le rapprochement des positions.

À la veille de la réunion ministérielle, les États-Unis ont très hâtivement suggéré d’organiser le travail de trois groupes – sur l’opposition, la lutte antiterroriste et les aspects humanitaires. Je souligne qu’il n’y a eu aucune consultation préalable avec la partie russe quant à la date et le lieu des réunions. Nous percevons clairement une aspiration à travailler de manière unilatérale et séparer les pays du groupe de Vienne en « meneurs » et « suiveurs ». Nous ne pouvons pas accepter de telles règles du jeu ». [12]

Mais le 13 novembre, l’horreur a frappé