Internet va-t-il vraiment « déborder » les élites ? (03/01/2014)

De peur d’être étudiées, reconnues et dénoncées ?

Il faudrait sans doute rajouter les élites Illuminati-sionistes !


Internet va-t-il vraiment « déborder » les élites ?Send the article by email

Pierre-Carl Langlais
wikipedien Publié le 01/01/2014 à 11h53

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Barack Obama trinque avec Steve Jobs (Apple, à sa gauche), Mark Zuckerberg (Facebook, à sa droite) et Eric Schmidt (Google) entre autres, à Woodside (Californie), le 17 février 2011 (Pete Souza/The White House/Flickr)

Il y a une vingtaine d’années, quelques prophètes annonçaient un nouvel âge d’or de la démocratie porté par ces étranges « autoroutes de l’information ».Cet émerveillement n’a pas disparu. Le Monde a publié il y a quelques jours un long article sur ces « élites débordées par le numérique ». Une vingtaine de témoignage dressent le portrait d’un monde qui change, et à grande vitesse : « Dans leur grande majorité, les élites tombent de l’armoire numérique et ne soupçonnent pas la lame de fond sociétale qui se forme. L’“ homo numericus ” avance à toute vitesse. Bien plus vite que les gouvernants, institutions et intellectuels, souvent dépassés. »

L’évolution du Web ressemble à un film noir

S’il évoque rapidement quelques exemples ambivalents (comme la page Facebook de soutien au bijoutier de Nice), l’article dépeint un tableau sans nuance. L’élite et la démocratie ; l’ancien et le moderne ; les technologies traditionnelles et Internet : ces contrastes se superposent parfaitement. Trop parfaitement. L’évolution du Web s’apparente de moins en moins à une saga triomphatrice et de plus en plus à un film noir. Nos nouveaux outils de communication ne favorisent pas seulement l’avènement de sociétés horizontales et hautement individualistes. Ils consolident les puissances économiques et politiques existantes.

La maxime de Lessig : « Le code est la loi »

L’esprit de partage promu par Wikipédia et la surveillance hégémonique de la NSA procèdent d’un transfert de compétence fondamental. Sur Internet, la régulation des interactions humaines n’est plus seulement assurée par des structures sociales. Elle est, en grande partie, déléguée au code — ce que souligne la maxime, fameuse, de Lawrence Lessig : « Le code est la loi. »Le code trace la limite entre ce qui est permis et ce qui est interdit : un utilisateur ne peut accéder à un contenu que s’il possède les autorisations nécessaires. Les nouvelles industries culturelles du Web tendent à mettre en place des législation ad hoc. YouTube vient ainsi de changer radicalement ses conditions d’utilisations. De nombreuses vidéos ont été retirées sans que leurs auteurs ne puissent rien y redire : YouTube dicte sa propre loi.

Une forme de prolétariat du tertiaire

Le code applique les dispositions préalablement adoptées, à une échelle qui serait proprement insoutenable pour n’importe quelle police humaine. Ainsi, le blogueur Lionel Maurel relève que les évolutions récentes de YouTube n’ont pu être généralisées que grâce à un automate obéissant : « A l’origine du problème, on retrouve le fameux robot de Google : Content ID, qui scanne en permanence le contenu de YouTube pour le comparer à une base d’empreintes fournies par les titulaires de droits. »Dans l’absolu, le transfert de la régulation vers le code a des effets indubitablement positifs. Sur un plan économique, il élimine de nombreux coûts de gestion. Sur un plan humain, les tâches qui disparaissent ne sont pas particulièrement gratifiantes. Elles relèvent, si l’on peut dire, d’une forme de prolétariat du tertiaire : appliquer, à la chaîne, toute une série de procédures et de normes.

L’ordinateur, « nouvel LSD » des hippies

La délégation de la régulation entraîne l’avènement de nouvelles structures sociales : les communautés en ligne auto-organisées. Avec la disparition de nombreuses contraintes bureaucratiques, il devient possible de faire table rase des hiérarchies formelles.Dès la fin des années 60, quelques théoriciens du mouvement hippie prennent conscience de la portée émancipatrice de l’informatique. Un texte de référence de la pensée hippie californienne, le « Whole Earth Catalogue » de Stewart Brand qualifie le micro-ordinateur de « nouvel LSD ». Le même Stewart Brand co-fondera en 1985 la première communauté en ligne, The Well.

Pas de Wikipédia sans ses « bots »

Ces itinéraires intellectuels, longtemps occultés, ont été récemment remis au jour par l’historien américain Fred Turner dans un essai stimulant, « Aux sources de l’utopie numérique ». Dans la préface de l’édition française, le sociologue Dominique Cardon souligne que l’avènement des réseaux en ligne a permis de régénérer une pensée hippie à bout de souffle : « Les hippies ont projeté leur rêve d’exil et de refondation dans les échanges numériques et, pour cela, ils avaient besoin de couper les ponts avec un “réel” doublement décevant, en raison de la persistance de l’aliénation patriarcale et capitaliste, mais aussi de l’échec de la tentative de s’en émanciper en établissant dans ses marges des communautés contre-culturelles. Internet était un “ailleurs”, le nouvel asile d’un projet d’émancipation avorté. » (p. 19)Wikipédia n’est possible, sous sa forme actuelle, que parce que l’application des règles est partiellement prise en charge par des automates, les « bots ». La Wikipédia francophone a ainsi son héros mécanisé : Salebot, spécialisé dans la révocation de contributions clairement inappropriées. Des interfaces élaborées (telles que LiveRC) facilitent également le repérage des ajouts potentiellement problématiques. Sans ces outils, l’encyclopédie ne pourrait s’autoréguler.Tout en ayant une nette portée révolutionnaire, ces communautés en ligne ne sont pas complètement neuves. Elles réactualisent certaines formes sociales identifiées par des anthropologues, les communs, qui ne fonctionnaient alors que sur des petites échelles (généralement des tribus de quelques dizaines de personnes). Or, la Wikipédia anglophone fédère l’équivalent d’une petite ville : 33 000 contributeurs actifs.

La NSA se démultiplie grâce aux algorithmes

Le transfert de la régulation n’a pas seulement permis à consolider de belles utopies. Il a servi des intérêts beaucoup plus douteux. Les effectifs de la NSA ont peu évolué depuis la fin des années 80 : environ 35 000 personnes. Et pourtant, la série de révélations initiée par Edward Snowden depuis sept mois met en évidence des capacités de surveillance sans équivalent.L’emprise des algorithmes sur la société civile permet à la NSA de se démultiplier. L’enjeu principal n’est plus de détecter des terroristes potentiels. Des populations entières sont mises sous écoute, vraisemblablement afin de servir les intérêts de l’élite politico-économique américaine.Les nouvelles industries culturelles du Web mènent une politique finalement similaires à la NSA. Elles reposent sur un modèle économique étrange : pour être rentables, Google, YouTube, Facebook et Twitter doivent indéfiniment repousser les bornes de leur hégémonie.Ce n’est qu’en apparaissant comme les intermédiaires inévitables de l’économie de l’attention qu’elles parviennent à séduire durablement publicitaires et investisseurs. Cette domination n’est possible que parce que d’obéissants automates sont capables d’imposer rapidement des règles uniformes à des communautés de centaines de millions de personnes.Paradoxalement, l’article du Monde paraît alors que les défenseurs de l’Internet libre n’ont jamais autant cédé au doute. La nouvelle société numérique, horizontale, rationnelle et égalitaire s’efface au profit d’un univers chaotique et incertain.

Des robot-traders qui perdent des milliards

Le milieu de la finance est emblématique de cette montée des périls. Les investisseurs ont mis au point des robots-traders, qui vendent ou achètent des valeurs si certaines conditions sont réunies. La Bourse bascule ainsi dans un monde dystopique : il suffit d’un seul accident de parcours pour déclencher une réaction en chaîne.Le 6 mai 2010, le Dow Jones s’est brièvement effondré : un robot a cédé 3 000 contrats en une fraction seconde, incitant d’autres automates à faire de même. En avril dernier, le piratage du compte de Associated Press par des hackers syriens a entraîné brièvement 136 milliards de dollars de perte. La prochaine crise boursière majeure a de fortes chances d’être robotique.L’économie rationnelle idéalisée par les théoriciens libéraux des Lumières devient de plus en plus irrationnelle. Sous l’égide des réseaux sociaux, le débat public en ligne se déstructure : en lieu et place de l’idéal du discours argumenté promu par les fondateurs du Web, le « like » encourage les pulsions les plus primitives.

La leçon d’Adorno

La technologie ne peut pas tout résoudre. Dans les années 30, le philosophe Adorno soulignait que la « technologie n’a que la valeur que nous voulons bien lui donner ». Cette leçon garde toute sa validité aujourd’hui.Nous sommes aujourd’hui sur le fil : entre les idéaux grandioses de l’utopie et les visions cauchemardesques de la dystopie.

 

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