Israël-Turquie : la rupture (02/06/2010)


Ankara était considéré comme le seul allié de l’Etat hébreu dans la région. Les morts sur un navire turc au large de Gaza semblent avoir accéléré le divorce.

Une manifestation pro-palestinienne à Istanbul

Une manifestation pro-palestinienne à Istanbul © SIPA


Le Mavi Marmara, seul navire de la flottille Free Gaza où l’intervention des commandos israéliens a basculé dans la violence, faisant neuf morts, dont au moins quatre Turcs, battait pavillon turc. A son bord, des activistes d’IHH, une association turque, proche du Hamas selon Israël. Son départ du port stambouliote de Sarayburnu s’était accompagné de discours, dont celui de Bulent Yildirim, président d’IHH, qui avait notamment remercié pour son soutien l’AKP, le parti islamo-conservateur du Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan.

« Œil pour œil ! »

Quelques jours plus tard, ce dernier allait dénoncer le raid israélien au large de Gaza : « un acte de terrorisme d’Etat inhumain ». Pour son ministre des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, Israël a « perdu toute légitimité internationale ». A Istanbul, lundi soir, la police anti-émeute a, contrairement à son habitude, fait preuve d’une étonnante retenue face aux 10.000 manifestants massés devant le consulat général de l’Etat hébreu. « Mort à Israël ! », « Soldats turcs, partez pour Gaza ! », « Vengeance ! Œil pour œil, dent pour dent ! », hurlait la foule, tandis que mardi la presse se déchaînait. « Des balles tirées contre l’humanité », titrait Radikal sur un fond noir en signe de deuil. Pour le Turkish Daily News, l’opération de Tsahal plante « le dernier clou dans le cercueil » des relations turco-israéliennes, déjà sévèrement endommagées par l’offensive contre Gaza voilà un an et demi. Et de citer le vice-président de l’AKP, Hüseyin Celik : « Nos relations avec Israël ne seront plus jamais les mêmes. »

La maîtresse d’Ankara

Effectivement. Elles sont loin, les années 1950, où on disait que la Turquie avait une maîtresse, Israël, avec qui elle aimait être, et une vingtaine d’épouses, les Etats arabes, qu’elle devait ménager. N’avait-elle pas été, en 1950, le premier pays musulman à reconnaître l’Etat hébreu ? Six ans plus tard, elle avait soutenu l’expédition de Suez, menée par la France, l’Angleterre et Israël, en riposte à la nationalisation du canal. Et, en 1992, elle avait célébré en grande pompe « 500 ans de vie paisible en terres turques des juifs expulsés d’Espagne en 1492 ».

Certes, en 1975, Ankara signe la résolution 3379 des Nations unies stipulant que « le sionisme est une forme de racisme et de discrimination raciale », mais cela n’empêche ni les contrats d’armement, ni les manœuvres militaires conjointes, ni les échanges d’informations. Autre accroc : avant de s’installer, en 1996, dans le fauteuil de Premier ministre, le leader islamiste Necmettin Erbakan martèle durant la campagne électorale que voter pour lui, c’est « voter contre les Arméniens et les juifs. » Toutefois, en 2002, son successeur, Recep Tayyp Erdogan, également islamo-conservateur, tient à resserrer les liens avec Jérusalem.

Jusqu’en décembre 2008. L’opération « Plomb durci » déclenchée par Israël contre le Hamas de Gaza en riposte aux nombreux tirs de roquettes sur ses villes suscite de sévères critiques à Ankara, qui, en octobre 2009, exclut l’aviation israélienne d’exercices internationaux qu’elle organise. En janvier dernier, la diffusion sur une chaîne de télévision turque d’un feuilleton présentant les soldats de Tsahal comme des tueurs d’enfants dérape sur un classique de l’antisémitisme. Le 17 mai, nouveau coup de froid : Benyamin Netanyahou qualifie d’« imposture » l’accord sur le nucléaire signé par la Turquie et le Brésil avec le président iranien Ahmadinejad, qui menace régulièrement de détruire Israël.

Sur le Mavi Marmara, les épouses sont parvenues à écarter la maîtresse.

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